Une petite visite [ Pv: Mon Fréro ]

__Le Repère. Lorsqu'on l'entendait dans une conversation, c'était un nom à double sens qui était, pour beaucoup, synonyme d'activités peu recommandables & de sorciers tatoués ainsi qu'encapuchonnés. C'était précisément là-dessus que Regulus avait voulu jouer lorsqu'il avait ouvert ce pub à la limite du Chemin de Traverse et de l'Allée des Embrumes. Le Lord avait apprécié la finesse également et enjoint ses partisans à ne pas laisser un tel endroit dépourvu de clients. Pourtant, tout aussi zélés que fussent les mangemorts, et les clients plus généralement, ils avaient tous une vie privée, un travail, voire une famille, et en plein milieu de journée, le Repère n'accueillait pas énormément de clients.

__Pour combattre l'ennui qui l'assaillait habituellement lors de ces longues journées d'attente, rythmées par deux ou trois habitués qui passaient à heure fixe, Regulus avait aménagé une petite pièce derrière la salle principale, dans laquelle il s'installait pour lire ou étudier un peu. Et c'était précisément dans le large fauteuil de velours vert que le jeune homme se trouvait lorsque la porte s'ouvrit et que quelqu'un entra dans le pub. Placide, le cadet Black acheva de lire la page sur laquelle il était, sans même daigner relever la tête pour observer le nouvel arrivant. Ce ne fut que lorsque la sonnette du comptoir retentit qu'il leva les yeux vers son visiteur, et potentiel client. Il n'eut pas le temps d'apercevoir son visage, de toute manière masqué par la longue capuche qui tombait devant celui-ci, et ce fait l'intrigua.

__Un Mangemort ? Dans ce cas, il se serait fait connaître et n'aurait pas pris la peine de garder sa capuche. Ce n'était plus un secret pour personne, le Repère était tenu par un jeune homme fortement soupçonné d'être au service du Lord, et le pub était lui-même fréquenté par plus d'un Mangemort. De telles précautions n'étaient donc pas nécessaires. Bah. Après tout, il y avait bien des gens bizarres partout. Peut-être l'autre avait-il un visage disgracieux, ou quelque chose du genre.

__Marquant la page à laquelle il se trouvait, Reg' reposa son livre et quitta la chaleur de son fauteuil pour aller à la rencontre de l'étranger. Quel que fut cet homme, car vu sa stature, il s'agissait visiblement d'un homme, il n'en était pas moins devenu un client de ce pub à l'instant même où il avait passé la porte, et malgré le mauvais pressentiment qui s'immisçait en lui, Regulus devait se comporter de manière... commerciale. Il vint donc s'accouder au comptoir, l'homme lui tournant toujours le dos étant appuyé de l'autre côté.

« Monsieur, » se contenta-t-il d'articuler avec la politesse qu'un tenancier devait à un consommateur « Puis-je vous servir quelque chose ? »

__L'homme finit par lui faire face, et Regulus sentit très, très nettement son cœur manquer un battement dans sa poitrine. Réflexion faite, il y avait bien un homme qu'il ne considérerait jamais comme un client, et qu'il ne tolèrerait pas non plus dans son pub, et c'était bien lui. Une lueur de haine longtemps contenue, et plus encore longuement entretenue s'alluma dans les prunelles sombres du jeune homme tandis qu'il fixait silencieusement son vis à vis. Sirius.

__Par les Quatre fondateurs, que faisait-il ici ? Même maintenant, à présent que leurs chemins s'étaient enfin séparés au sortir de Poudlard, et qu'ils n'étaient plus obligés de se croiser entre les murs de l'école, il fallait qu'il vienne l'importuner jusqu'ici. Non, pire que l'importuner. Raviver les braises de cette peine incommensurable étouffée sous les cendres d'une haine profonde. C'était toujours comme ça. Lorsqu'il pensait avoir enfin réussi à se détacher de tout ça, de cette douleur et de ces regrets, à être enfin indifférent, Sirius revenait. Et tout remontait à la surface, encore plus puissamment qu'avant, comme si la simple présence de son frère était une tornade qui dévastait les piliers de ses certitudes. A voir cette rage péniblement contenue qui irradiait presque de Regulus, comment aurait-on pu penser qu'un jour, les deux frères eussent été proches ? Inconcevable.

__Et pourtant, vrai. Trop vrai. C'était un souvenir trop lancinant pour être agréable, parce qu'il lui faisait réaliser à chaque fois ce fossé qu'ils avaient creusé entre eux. Délibérément. Chaque mot, chaque insulte, chaque sort n'avait été qu'un coup de pioche qui avait envoyé valser les souvenirs chaleureux de l'enfance pour n'y laisser que du vide. Un vide sombre et poisseux, suintant de haine et de ressentiment. Rien que d'y penser, il en avait le cœur au bord des lèvres. La colère coulait dans ses veines, dilatait ses pupilles, faisait battre son cœur en pulsations qui résonnaient jusque dans ses tempes. Rage & rancœur.

__Sirius était là, il se tenait devant lui, avec ce sourire sculpté par l'arrogance et l'orgueil démesuré des Black. Un sourire que Regulus avait maintes fois souhaité effacer à coups de poing du visage de son aîné. Ils avaient beau dire, tous, et Sirius le premier, il était un Black. Il avait beau essayer de renier sa famille, cette arrogance, ce plaisir à provoquer et blesser, cet orgueil, cette prestance, cette certitude qu'il pouvait faire ce qu'il voulait quand il le voulait, c'était typiquement Black, et toutes les critiques qu'il pouvait proférer à l'encontre de sa famille n'y changerait rien. Ce sang coulait dans les veines de Sirius aussi sûrement qu'il s'écoulait dans celles de son cadet, et rien de ce qu'ils pourraient dire ou faire n'y changerait quelque chose.

__Dans ce plaisir que Sirius éprouvait à le hanter ainsi, Regulus ne pouvait que penser qu'il était aussi malsain que cette famille qu'il abhorrait.

__« Je voudrais un grand verre de lâcheté, agrémenté d'un soupçon de rancœur... »

__Un sourire plein de mépris non dissimulé vint jouer sur les lèvres du jeune Black, qui répondit d'un ton doucereux :

__« Tu n'as pas besoin de venir ici pour ça. Il te suffit d'aller boire un verre chez ton petit copain Potter, je suis sûr qu'il s'y connaît très bien en lâcheté. »

__Il laissa un court silence passer, puis ajouta sur le même ton chargé de dédain :

__« Et pour la rancœur, pas besoin de chercher bien loin non plus, elle suinte par tous les pores de ta peau. »

__Des mots durs. Uniquement destinés à le provoquer, à l'agacer, parce que quand Sirius se mettait à se défendre et à être aussi mesquin que lui, ça apaisait sa conscience. Il pouvait se permettre de le hair en se disant que c'était parfaitement réciproque, et alors, rien ne comptait plus que de lui faire mal. Que ce soient par des mots ou par des gestes, à chaque fois, ils ne cherchaient qu'à se blesser un peu plus, alors que les cicatrices venaient à peine de se refermer. C'était un jeu cruel et destructeur, mais c'était leur jeu. Un jeu qui ne finirait probablement jamais. Un jeu qui n'amènerait rien de bon, à part souffrance et hostilité.

__Lorsque Sirius lui demanda s'il avait autant une tête d'alcoolique, Regulus se contenta de hausser un sourcil ouvertement sarcastique. Une telle interrogation se passait de réponse, et le silence était bien plus amusant qu'un simple « oui ». En revanche, lorsque son aîné évoqua l'absence de clients, le cadet ne put s'empêcher de rétorquer avec un sourire faussement aimable :

__« Contrairement à certains, les gens travaillent et ne peuvent donc pas passer leurs journées accoudés au comptoir. Je sais que c'est difficile à croire pour quelqu'un comme toi, mais l'oisiveté ne permet pas de gagner sa vie. »

__Il s'accouda au comptoir d'un air nonchalant, toujours de l'autre côté de Sirius. C'était comme une barrière qui les séparait et qu'il se refusait à franchir. Pas encore, du moins. Tout sourire s'effaça lentement des lèvres fines du jeune homme tandis qu'il scrutait Sirius d'un oeil presque désintéressé. Le mépris et l'indifférence. C'étaient des choses que son aîné supportait très difficilement. Le provoquer était la seule manière pour Regulus de se montrer supérieur à lui, car il n'avait malheureusement pas hérité de la force physique de son frère. Pourtant, il ne redoutait pas son frère à cause des bleus qu'il pouvait lui infliger. Non. Il le redoutait parce qu'il le connaissait. Presque trop. Et pire, il avait toujours eu le don d'ébranler ses certitudes. C'était une sensation effroyable de sentir que ce à quoi on croyait n'était qu'un château de cartes. Et quand c'était Sirius qui soufflait dessus, c'était encore pire.

__« Qu'est-ce que tu veux ? » demanda-t-il, et l'on pouvait percevoir une certaine hostilité dans sa voix.